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Publié le par comitedelectureds.over-blog.com

Nous partageons ici la tribune publiée par Arnaud Meunier dans Libération du 09/02.

Arnaud Meunier est Directeur de la Comédie de Saint Etienne et metteur en scène.

Ma tribune dans "Libération" de ce matin.

" A-t-on encore besoin des auteurs ? " : ce titre volontairement provocateur, comme les affectionne Libération, a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase déjà bien plein d'un dénigrement systémique et presque institutionnel de nos écrivain.e.s dramatiques en France.
Pour beaucoup d'entre nous, attaché.e.s aux textes de théâtre et aux écritures d'aujourd'hui, il y a un fort décalage entre la richesse, la diversité des nouvelles dramaturgies notamment liées à un renouvellement générationnel important (à l'image de la Coopérative d'écriture , du Collectif Traverse , de la formation écriture de l'ENSATT et de l'Ecole du Nord , du passage au théâtre d'auteurs de roman ou de l'avènement de nouveaux auteurs étrangers par exemple) qui génère un foisonnement de nouvelles pièces avec des dramaturgies innovantes, doublé d'auteurs reconnus beaucoup traduits à l'étranger et une apparente " ringardisation ", trop communément admise, du texte écrit avant les répétitions.
Comme on le sait, le débat sur la place du texte et de l'auteur au théâtre n'est pas nouveau : il suffit de lire les écrits de Michel Vinaver au début des années 1970 pour s'en convaincre. Pas surprenant non plus que les auteurs dramatiques n'arrivent pas à vivre de leur plume et qu'ils doivent ruser pour trouver les moyens que leurs textes soient représentés. On se souvient de Jean-Luc Lagarce (considéré comme un classique du XXème siècle à présent) mettant en scène Molière ou Ionesco le soir, pour mieux pouvoir répéter ses propres pièces avec sa troupe le jour…
Les metteur.e.s en scène sont sûrement à blâmer. Ils représentent l'essentiel des porteurs de projet en France et peu se risquent sur les nouveaux auteurs et osent créer des pièces inédites. Pour cette même raison les auteurs-metteurs en scène jouissent d'un rayonnement et d'une popularité bien plus importantes que leurs confrères qui cherchent désespérément celui ou celle qui saura porter au plateau leurs mots et leurs poèmes. Mais pourquoi tant de frilosité ? Les raisons sont bien-sûrs avant tout économiques. Les metteur.e.s en scène savent, à raison, que le montage de production d'un texte nouveau sera beaucoup plus dur à réaliser, que la tournée sera bien plus courte, que les " décideurs " dans leur ensemble seront bien plus craintifs, exigeront une distribution connue, des garanties diverses, avant d'imaginer faire connaître au public un.e nouvel.le autrice (eur)…
C'est la raison pour laquelle le soutien à la " filière texte " doit constamment faire l'objet d'une politique publique active en France et à l'étranger pour encourager la prise de risque et progressivement constituer l'émergence des classiques de demain.
Or, à de rares exceptions près, c'est tout le contraire qui s'est mis en place depuis une quinzaine d'années.
Le sauvetage annoncé de Théâtre ouvert à Paris par la mise en danger du Tarmac laisse pantois ; la fragile situation de Montevideo à Marseille inquiète. Les dispositifs d'aide aux auteurs sont très anciens et peu requestionnés. Ils reproduisent des schémas aujourd'hui vétustes et déconnectés de la réalité de la nouvelle économie du spectacle vivant. Au nom des " fusions " et des " rationalisations ", le Ministère de la Culture lui-même a fusionné le Centre national du Théâtre avec les arts du Cirque et de la rue, satellisant par là-même la question du texte, en la traitant dans la même commission que les dramaturgies plurielles qui ne sont, la plupart du temps, que de simples notes d'intention de porteurs de projets…
Au nom du rayonnement des créations françaises à l'étranger, on a expliqué que le texte était un obstacle. Au nom de la pluridisciplinarité, puis de la transdisciplinarité, on a théorisé que le texte freinait la créativité et la liberté artistique. Par manque de volonté politique, on a peu à peu abandonné le travail toujours nécessaire de sensibilisation des enseignants de manière générale, des professeurs de théâtre en particulier.
Ici comme ailleurs (on pourrait comparer cette situation à la place de plus en plus fragile du cinéma d'auteur), on laisse le marché décider. Et bien entendu, le marché favorisera toujours les effets de mode et les gestes patrimoniaux. 
Bref, il est urgent de constater qu'il y a un réel impensé sur la place des textes de théâtre aujourd'hui et de celles/ceux qui les écrivent.
Les chantiers (et les initiatives) sont nombreux et ne manquent pas : comment sensibiliser les jeunes artistes (dans les écoles supérieures d'art dramatique notamment) aux nouvelles écritures ? Comment favoriser la découverte, la circulation et la mise en production des pièces repérées par les différents Comités de lecture ? Comment multiplier les espaces de laboratoire et de rencontres notamment entre les metteur.e.s en scène et les écrivain.e.s de théâtre ? Comment encourager les commandes d'écriture et mieux rémunérer le travail des auteurs ? Quels dispositifs vertueux pour les producteurs de pièces nouvelles ?

L'État, depuis trop longtemps, semble aux abonnés absents sur ces sujets. Les Collectivités avancent en ordre dispersé. Les Société d'auteurs semblent plus en dialogue avec les théâtres privés qu'avec les théâtres publics et paraissent même ignorer ce qui se passe dans les Centres dramatiques…
Dans mon quotidien à la Comédie de Saint-Etienne, je ne peux que me réjouir de la vitalité et du renouveau de l'écriture dramatique. Elle est complémentaire des écritures de plateau et je ne crois nullement à la fatalité d'un lent déclin, ni à une hostilité de la part de la jeune génération d'artistes. Mais il est temps de mettre autour d'une table les différents décideurs. J'appelle de mes vœux l'organisation d'États généraux des écrivain.e.s de théâtre qui les réuniraient avec les pouvoirs publics, les éditeurs et les professionnels qui ont à cœur de partager leur goût et leur passion avec tous les publics.
Ce foisonnement et cette énergie dont je vous parle, il est sans doute temps de la rendre plus visible et de lui donner les moyens de son développement.

Arnaud Meunier
Metteur en scène, Directeur de la Comédie de Saint-Etienne / Centre dramatique national et Ecole supérieure d'art dramatique

Publié dans Humeur

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